jeudi 10 septembre 2015

le chant des possibles



Voilà comment ça aurait pu se passer. Je sais bien que tout ceci n’est qu’un exercice, que tu es trop loin de moi pour même rêver que ça se produise un jour, mais puisque tu me demandais comment j’imagine notre première rencontre, j’ai trompé mon attente de toi en faisant le récit de cette journée. Peut-être mon histoire correspondra-t-elle à ton rêve ?


Quelle idée d’ailleurs de m’avoir avoué toute à l’heure passer tes nuits à nous voir ensemble ! Comment veux-tu que je fasse preuve de sage patience quand tu me nargues de tes élans ? Mais assez perdu de temps avec mes états d’âme, il faut que je t’expose mon programme.



Les toutes premières minutes sont capitales dit-on. Cette première impression : saisir une silhouette, en préciser les contours, reconnaître les détails donnés par sms ou mail juste avant le départ pour s’identifier. On n’a pas voulu s’échanger de photo, garder ce mystère. Depuis le temps que l’on joue à se découvrir à distance, on sait bien qu’un regard suffira. Un jour tu as craqué. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais plus au détour de quelle conversation, tu m’as envoyé ton portrait. Je ne sais pas qui l’a fait, peut-être m’avoueras-tu que c’était l’homme d’avant, mais ton expression douce et déterminée m’a laisse bouche bée… C’est amusant comme on peut se faire de fausses idées… Et surtout comme la réalité peut être cent fois plus agréable que toutes nos constructions mentales ! Je bouillonne donc d’un mélange de surprise et de curiosité renforcée ! Maintenant je te connais alors que tu ne m’as jamais vu, mais est-ce réellement important ? Je vais venir vers toi avec l’assurance du prédateur et soudain j’ai peur que ça se passe trop vite, que tu prennes peur à ton tour. Mais je vais déjà trop loin dans mon récit, tu n’es pas encore arrivée.



Ah tiens, l’écran de la gare me dit que ton train sera à l’heure. Il me reste à peine quelques minutes pour calmer mon estomac et mon coeur qui semblent avoir décidé de me refaire les cascades des Mad Max pour l’occasion. Car oui, j’ai le trac avant d’entrer en scène. Je vais bientôt me trouver mal si ça continue. Sur ce quai de gare, j’ai à nouveau 15 ans et j’attends mon premier rendez-vous !



J’imagine que tu es dans le même état ce qui me rassure un peu. Pourtant tu finiras pas m’expliquer que tu te sens au contraire très sereine car il n’y a pas d’autre enjeu à cette rencontre que de confirmer le plaisir de faire connaissance « en vrai ». Je devinerai bien par la suite que tu t’inquiètes tout de même de me plaire mais tu seras vite rassurée sur ce point.





Et puis voilà l’Intercité qui s’immobilise, je dois être un homme, me tenir droit et viser fièrement la ligne bleue des Vosges, interdiction de paraître molasson ou… Et je t’aperçois ! Impossible de trouver une excuse pour fuir, il faut que je reste… Pour toi. Et pour satisfaire ma curiosité. Qui es-tu ? Où tout cela va-t-il nous mener ? Voilà, je t’ai reconnue dans la foule qui fuit déjà le quai. Je t’imaginais plus petite. C’est amusant comme on peut se faire des idées !



A l’instant je me demande comment est ta voix et comment tu vas réagir face à moi. Dois-je t’embrasser ? Ne pas presser le pas en s’approchant. Faire durer ce moment suspendu, plus tout à fait avant, pas encore pendant, mais qui prépare l’après.



Déjà face à face, tu souris.Ton regard pétillant de bienveillance me détend un peu et je me risque à une sage bise… je ne peux pas faire mieux ! Ma timidité à réussi à reprendre le contrôle de mon corps pour un temps. « Je suis content de te rencontrer enfin », voilà qui devrait te rassurer au plus haut point ! Comme lors de tous nos échanges précédents, tous ces messages sur internet, ton naturel me fait fondre. « On va manger ? Tu as faim ? Tu as un endroit préféré, c’est ta ville non ? » Tu sembles si sereine, comme si ce qu’on vit était parfaitement naturel. Je ne comprendrai que dans quelques semaines que ça l’est effectivement… et que tu dissimules à merveille ce bouillonnement qui t’anime aussi. C’est qu’il va nous falloir du temps pour apprendre à se connaître, mais notre complicité ne faiblira pas. Allons déjeuner alors.



J’ai la tripaille en feu, absolument aucune autre envie que t’écouter me parler de toi mais puisque c’est dans l’ordre des choses… Cette apparence de routine, cet acte social me permettra peut-être de calmer le flot d’adrénaline qui coule sans arrêt depuis quelques minutes déjà ? A moins qu’il précipite la révélation de mon ignorance du comportement à adopter, moi qui ne suis social qu’à distance, que par fragments sporadiques. Par chance j’ai réussi à ne pas avoir l’air trop inadapté, tout au plus une petite maladresse qui t’a bien faite rire lorsque j’ai bousculé mon verre et renversé environ 20 litres d’eau froide sur mes cuisses ! J’ai ce talent pour détendre mes vis à vis à mes dépends parfois… et heureusement ça fonctionne aussi sur moi. Tu vois, je le savais qu’il serait difficile de dénouer mon estomac, l’accumulation de stress a eu raison de mon appétit. Surtout mon attention ne va pas à la nourriture à ce moment. Tu es assise face à moi, tu souris, et ton décolleté est difficile à ignorer ! Je regarde partout autour et je me donne l’impression d’être un animal prêt à fuir à la moindre alerte, mais heureusement tu me parles, me mets en confiance, alors j’ose te regarder. Dans les yeux un peu, on a commencé les confidences depuis assez longtemps pour ça ! J’en profite pour détailler le grain de ta peau, pas trop discrètement car je n’ai pas l’intention de te dissimuler mon trouble. Le calvaire, pardon CE calvaire se termine. Café, addition, merci, au revoir. « On va marcher ? Tu me montres ta ville ? »



Oui on va marcher. Dans mes rues mais à ton rythme. Parce que je suis pris dans un tourbillon. Un tourbillon en robe légère et talons hauts ; peu pratiques sur les pavés de la vieille ville d’ailleurs, mais tu t’en moques : je suis là pour attraper ton bras à chaque fois que tu trébuches ou glisses. Je suis comme ça moi ! Un peu vieux jeu, un peu décalé : je surveille les voitures qui pourraient te frôler aux passages cloutés, je t’ouvre la portière de la voiture ou m’efface pour te laisser entrer la première ou te suivre dans l’escalier afin de dissimuler tes jupons aux regards impolis. Je n’ai rien appris de tout ça, j’ai observé et fait miens certains codes surannés qui m’ont semblés importants. Nous déambulons donc. Arpentons la vieille ville, le nez en l’air. Logis médiéval, églises, colonne insolite et cathédrale, c’est un condensé presque indigeste que je te sers mais le temps nous est compté. Dans quelques heures à peine il faudra accepter un au revoir bien lourd, retour sur ce quai de gare.



Et puis ça y est, ça arrive là, au pied de la cathédrale : tu m’enlaces et tu m’embrasses, passionnément. Le plus surprenant est peut-être que je me laisse faire, sans la moindre tentative de dissuasion ! Pourtant je connais tellement de gens ici. Comment puis-je prendre la liberté de cette démonstration publique alors que tu n’as aucune existence officielle ? Mieux que ça : alors que mon entourage me croit trop introverti ou trop asocial pour m’imaginer dans pareille situation. Mais le moment est magique, doux, fou, inespéré mais attendu, alors j’oublie tout ce qu’il peut y avoir autour de nous et deviens l’instant. Je suis ce baiser avec toi, plus rien d’autre ne compte.



Forcément, un seul ne suffit pas, le premier appelle les suivants, et à partir de là le tourisme perd de son intérêt. Maintenant la seule impression qui compte vraiment, la seule envie qui domine et que je sens aussi bien au bas de mes reins que dans ta façon de t’appuyer à moi pour faire la photo, c’est de sentir ta peau contre la mienne. Mon sexe dans le tien. Oui j’ai envie de toi, plus que jamais !



Alors direction l’hôtel. Je ne t’avais rien dit mais je suis prévoyant et j’avais pris soin de réserver une chambre. Ce petit immeuble de charme derrière la cathédrale, avec sa grille en fer forgé et sa cour intérieure est parfait pour abriter nos élans. La réceptionniste est tellement absorbée par ses comptes que nous n’avons même pas droit à un sourire connivent, alors que voyageurs sans bagages il n’y a aucun doute sur nos projets à court terme. L’escalier étroit me permet déjà de commencer l’exploration de tes cuisses, ma main remontant doucement le long de la peau fine et sensible. Chaque palier autorise une indispensable pause-baiser. Le désir gonfle au rythme des étages. Prions que cet hôtel soit très haut ! L’arrivée dans la chambre est désordonnée tant nos mains sont avides de découvrir l’autre en détails et il nous faut un éclair de lucidité pour penser à refermer la porte avant d’aller plus loin ! Tu sais que je ne suis pas très doué pour décrire le mélange des corps et la passion charnelle, alors la porte restera fermée. Simplement, ce ne seront que bouches avides, langues exploratrices, doigts traçant des cartographies complexes, caresses voluptueuses, palpitations moites… nos corps se découvrant l’un l’autre, apprenant cette mécanique à l’unisson, cherchant la libération des pulsions, l’abandon confiant dans l’assouvissement. Souvenirs des caresses, du plaisir qui monte par vagues à l’assaut de nos entrelacs jusqu’à l’explosion frénétique.



Et puis l’heure de te raccompagner à la gare est déjà arrivée. La démarche est moins assurée, la faute à nos efforts physiques, nos jambes ont déjà tout donné sur ce lit même pas défait. Nous voilà dans le grand hall de la gare; Horaire et numéro de voie. Il faut t’acheter un cordon pour charger ton téléphone pendant le trajet : pas question de rompre le lien que nos corps viennent de créer, après nos esprits. Dernière occasion de « faire quelque-chose » ensemble avant ton départ, je mettrai une application toute particulière à t’aider dans ton choix. C’est l’heure maintenant et il faut se rendre sur le quai. Tu m’as déjà parlé des au-revoirs sans se retourner, des départs sans regrets et de ta force apparente dans ces moments. Seulement après cette journée, tu me demandes de t’accompagner. Le train arrive déjà et vient s’immobiliser. Il y a une urgence à la dernière étreinte, au dernier baiser. Tout se doit d’être mémorable encore. Même sans ça ce jour le serait assurément. Tu montes dans le wagon, je commence déjà ce catalogue afin de ne rien perdre. Tu ne te retournes pas en quittant la plateforme à la recherche d’un fauteuil libre, alors je choisis ce moment pour faire à ta façon et quitte le quai sans chercher à t’apercevoir une dernière fois. Mes souvenirs sont déjà parfaits et je n’en désire pas d’autre pour me remémorer ton image.



D’ailleurs j’ai encore ton odeur sur moi, ton parfum me suit, et je sens encore ta main me caresser le bras et l’épaule. Je décide d’aller déambuler encore sur ces pavés, comme pour entendre à nouveau ton pas. Je crois que cette fois je peux me déclarer officiellement amoureux, ce qui me fait bien sourire par avance de la réaction de mes proches. Puis vient le premier SMS. Tu n’es encore qu’à quelques kilomètres mais déjà tu me manques comme si cette journée n’avait jamais été qu’un exercice imaginaire.




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